La fève est-elle la perle rare que recherche l’industrie agroalimentaire ?

Food Food Week 08:26

En moyenne, la population suisse consomme 50 kilos de viande par an et par personne. Beaucoup trop, aux yeux de l’agronome Hans Ramseier, en quête de l’alternative végétale parfaite.

Hans Ramseier est professeur d’agronomie à la Haute école spécialisée bernoise.

Beaucoup de gens veulent réduire leur consommation de viande et de produits laitiers. Les protéines végétales contenues par exemple dans les graines de soja, les pois chiches ou les lupins représentent une excellente alternative et pourtant la Suisse n’en cultive quasiment pas. Pourquoi ?
La question se pose, effectivement. Les graines de soja, par exemple, poussent bien en Suisse, jusqu’à 550 mètres d’altitude. Elles ont besoin de températures suffisamment élevées pour s’épanouir. Ces conditions, nous les remplissons. De plus, le centre de compétence de la Confédération pour la recherche agronomique, Agroscope, a déjà mené d’excellents travaux sur la sélection du soja. Seulement voilà, la demande pour ce produit n’est pas très élevée et nombre de consommateur·rice·s boudent le soja suisse.

 

Comment l’expliquez-vous ?
Par son prix. Il faudrait que les consommateur·rice·s soient disposé·e·s à payer plus pour du tofu suisse que pour le tofu importé. Mais il existe des exemples encourageants, comme celui d’une paysanne pratiquant l’agriculture bio qui transforme le soja d’autres paysans en tofu, lequel se vend très bien grâce à la vente directe. 

Et c’est précisément ce que recherchent de nombreux·euses consommateur·rice·s : une production régionale et bio.
Oui, mais quand vous leur donnez le choix entre un tofu bio produit dans la région et un tofu deux fois moins cher importé du Brésil, beaucoup se tournent vers ce dernier. D’où la question suivante : comment inciter les consommateur·rice·s à payer un prix juste pour de bons produits locaux de sorte que les agriculteur·rice·s puissent s’y retrouver économiquement parlant ? Mais comme le montre l’exemple de la paysanne citée plus haut, on trouve également des consommateur·rice·s prêt·e·s à le faire. Pour les atteindre, nous devons cependant passer par les grands distributeurs. Il faudrait que ces derniers proposent davantage de produits à base de soja suisse et qu’ils en fassent la publicité.

Qu’en est-il des pois chiches ? Aujourd’hui, les rayons réfrigérés des grands distributeurs regorgent de produits dérivés du houmous.
Les pois chiches sont difficiles à cultiver. Le rendement varie en fonction de la météo. Lorsqu’il fait mauvais, la récolte est faible, voire nulle. Par ailleurs, cela fait longtemps que les pois chiches n’ont pas fait l’objet d’amélioration par sélection.

Outre le soja, quelles légumineuses auraient un avenir prometteur en Suisse ?
Il y en a un certain nombre. Le lupin blanc, par exemple, convient particulièrement bien à notre alimentation et on peut non seulement le cultiver sur des sites propices jusqu’à 550 mètres, mais également à une altitude plus élevée. Les pois et la féverole présentent également un intérêt. La féverole, également appelée fève, pousse même dans les zones montagneuses. Pour nos ancêtres, qui mangeaient moins de viande que nous aujourd’hui, cette plante était essentielle pour couvrir les besoins en protéines. Mais elle est tombée dans l’oubli en Suisse.

Aujourd’hui, nous autres consommateur·rice·s avons l’embarras du choix. Mangerait-on des fèves ?
Lors d’un événement organisé récemment au musée Ballenberg, plusieurs variétés de féveroles, anciennes et locales, ont été proposées à la dégustation et les réactions ont été en grande majorité positives voire enthousiastes.

La fève qui a remporté tous les suffrages venait de la région de Habkern. Certain·e·s visiteur·euse·s plus âgé·e·s se souvenaient même d’avoir mangé des fèves autrefois.

La fève serait-elle donc la perle rare que recherche l’industrie agroalimentaire ?
Un peu, oui. Son potentiel est énorme. Pour le compte d’une exploitation agricole bio, nous avons voulu augmenter la part en protéines de sa production de maïs et avons pour cela planté le maïs en culture associée avec des haricots à rames et des haricots d’Espagne. Cela a très bien fonctionné et l’agriculteur a, en prime, bénéficié d’un apport gratuit en azote pour ses terres. La fève présente toutefois un inconvénient : ses semences sont grosses et par conséquent elles coûtent cher.

Vous avez mentionné plus haut les pois.
Oui. La culture des pois jaunes comme celle des pois protéagineux conviendraient très bien à un pays comme la Suisse. Les pois sont relativement riches en protéines et sont peu exigeants : le climat suisse leur convient bien, à condition que les étés ne soient ni trop chauds ni trop secs. Néanmoins, ils sont très peu cultivés en Suisse. Pour le canal d’alimentation destiné à la population, on importe la quasi la totalité.

On se pose alors la question de savoir si, tout compte fait, la Suisse a choisi les bonnes cultures.
Cette question revient à la politique agricole du pays. Les agriculteur·rice·s suisses recherchent logiquement des cultures qui soient économiquement rentables. Les pois et le soja ne font toutefois pas véritablement partie des cultures de rente, de ces plantes que l’on destine à la vente. Mais la politique agricole de la Suisse pourrait fixer d’autres thèmes prioritaires et, par exemple, augmenter les paiements directs pour ces cultures. 

Le soja et les pois chiches sont cultivés dans des pays où il fait plus chaud. Représenteraient-ils une bonne alternative si, dans le contexte du changement climatique, il venait à faire plus chaud en Suisse ?
Les fèves et les lupins supportent bien les étés chauds, voire mieux que les céréales. Ces deux protéagineux font des racines pivotantes qui s’enfoncent profondément dans la terre. Les céréales produisent plutôt des racines superficielles. Le changement climatique profiterait sans aucun doute à la culture du soja. Pour ce qui est des pois chiches, en revanche, le risque lié aux importantes fluctuations des rendements demeure. En outre, leurs semences coûtent également très cher.

Vous êtes agronome. Sur quoi travaillez-vous principalement à l’heure actuelle ?
Sur la manière d’inciter les consommateur·rice·s à manger moins de viande. Je suis convaincu que la consommation de viande doit revenir à un niveau supportable pour l’environnement. Nous n’avons pas besoin de consommer 50 kilos de viande par an, 30 ou 35 kilos suffisent. Pour y parvenir, il nous faudra toutefois pouvoir proposer des alternatives à base de protéines végétales qui soient intéressantes et si possible variées, afin qu’ensemble elles couvrent entièrement les besoins en acides aminés.